
PEUR DE LA PROGRESSION DE LA MALADIE
Une peur normale
Une majorité de patientes atteintes de cancer se disent inquiètes à l’idée que la maladie revienne ou progresse. Il n’est pas rare qu’elles utilisent l’expression « avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête » lorsqu’elles envisagent leur avenir après un épisode de soins pour le cancer. Lorsque la maladie progresse et que des métastases apparaissent, c’est un peu comme si cette impression de danger, de risque constant qui peut frapper à tout moment, devenait alors bien réelle.
Même si le cancer du sein métastatique (stade 4) ne peut être guéri, des traitements médicaux vous seront probablement offerts afin de contrôler la maladie et de prolonger votre vie le plus longtemps possible, tout en préservant une bonne qualité de vie. Peut-être vivrez-vous de longues périodes pendant lesquelles la maladie demeurera stable. Cependant, vous aurez sans doute l’impression que l’épée de Damoclès n’est jamais très loin : vous savez que la maladie progressera un jour ou l’autre, mais ne savez pas quand. Comment arriver à vivre avec cette crainte sans que celle-ci vous envahisse, sans qu’elle ne vous empêche d’aller de l’avant et de profiter de la vie que vous savez si précieuse?
Il est normal que vous viviez de la peur. Vous vivrez probablement des moments d’anxiété plus intenses dans certains contextes particuliers, comme l’apparition d’une douleur inattendue ou la période d’attente d’un résultat d’examen, par exemple. Les patientes interprètent fréquemment ces situations de façon catastrophique (ex. « J’ai mal à la tête, donc j’ai des métastases cérébrales » ou « Je rencontre mon médecin aujourd’hui, il va sûrement m’annoncer que le cancer a progressé »). Ces interprétations génèrent toute une gamme d’émotions désagréables ou même douloureuses, comme de la peur, de la tristesse ou de la colère. Afin de les diminuer, vous pourriez être tentées d’éviter les situations qui vous font penser à la maladie, ou de chercher à vous faire rassurer à son sujet. Ces stratégies réduiront peut-être votre inconfort à court terme, mais sont généralement inefficaces à long terme.
Pensées négatives, positives ou réalistes ?
D’abord, sachez que vous ressentirez probablement toute une gamme d’émotions; il n’y a pas de « bonne » ou de « mauvaise » façon de vous sentir. Autorisez-vous à ressentir toutes les émotions qui naissent en vous. Ce ne sont pas les événements comme tels qui déterminent vos réactions émotionnelles, mais plutôt votre manière de les interpréter. Lorsque vous vous sentez triste ou anxieuse par exemple, prenez le temps de vous arrêter pour reconnaître vos pensées. Quelles étaient les idées, les images qui vous sont venues en tête au moment de ressentir une émotion désagréable? Est-ce que certaines de ces pensées étaient négatives, exagérées, catastrophiques ? Avez-vous l’impression de regarder votre situation à travers des lunettes noires ?
Vous pourriez être tentée de chercher à avoir une « pensée positive » afin de mieux vous adapter à la maladie. Peut-être même croyez-vous qu’il est préférable de rester positive et de se montrer combattive pour vaincre le cancer. Malgré ce qu’en dit la croyance populaire, la « pensée positive » n’est pas gage de guérison. Ce mythe est encouragé par plusieurs livres de psychologie populaire suggérant l’auto guérison du cancer par la pensée. Or, la grande majorité des recherches scientifiques qui portaient sur l’évaluation de l’influence d’une attitude positive sur la progression du cancer* 41 ont conclu que les facteurs psychologiques n’ont pas une influence déterminante.
L’expérience du cancer métastatique (stade 4) est une réalité difficile à vivre. Même avec la meilleure volonté, il est impossible d’être positive en tout temps. Certains auteurs parlent de la « tyrannie de la pensée positive » (Holland et Lewis, 2000). La figure suivante montre le cercle vicieux dans lequel risquent de tomber les personnes croyant qu’une attitude et des pensées positives augmenteront leurs chances de guérir du cancer (Savard, 2010).
Peut-être ressentez-vous une forte pression à demeurer positive en tout temps. D’ailleurs, les proches des personnes atteintes de cancer ont souvent tendance à les encourager à « rester positive » et à « être forte ». Bien que cette croyance puisse parfois donner un sentiment de contrôle ou de pouvoir sur l’évolution de la maladie, elle est souvent associée à un fort sentiment de culpabilité. Vous risquez de vous sentir coupable et anxieuse dès que vous ressentez une émotion négative (« Je n’ai pas la bonne attitude pour guérir »), une émotion pourtant tout à fait normale!
S’adapter au cancer en adoptant un optimisme réaliste
Nous vous suggérons une solution de remplacement à la pensée positive, soit de viser plutôt à entretenir une pensée réaliste (Savard, 2010; Beck, 1991). On peut se représenter les pensées sur un continuum allant des pensées positives aux pensées négatives ou, autrement dit, porter des lunettes aux teintes variant du rose au noir. Au centre du continuum se situe la pensée réaliste, qui consiste à voir la situation telle qu’elle est, tant avec ses aspects négatifs que positifs. En somme, la pensée réaliste correspond à porter des lunettes claires. Nous vous encourageons à considérer tous les scénarios possibles tout en espérant que le meilleur survienne, ce que nous appelons aussi l’optimisme réaliste. L’espoir est essentiel pour maintenir un sentiment de bien-être dans la maladie, peut-être pas l’espoir de guérison, mais au moins l’espoir de vivre le plus longtemps possible ou le mieux possible.
Êtes-vous intolérante à l’incertitude ?
L’expérience du cancer métastatique (stade 4) est caractérisée par une importante part d’incertitude. Votre équipe médicale vous a certainement expliqué que la maladie progressera plus tard, mais personne n’est en mesure de prévoir à quel moment ni de quelle façon. Certaines personnes peuvent vivre plus longtemps que prévu, alors que pour d’autres, la mort sera plus rapide que souhaité ou des complications inattendues pourront survenir. Cette réalité peut être très difficile à vivre, particulièrement pour les personnes qui n’aiment pas être confrontées aux situations incertaines et qui préfèrent avoir un sentiment de contrôle sur ce qui leur arrive. On dit de ces personnes qu’elles sont intolérantes à l’incertitude. Vous vous reconnaissez? Ces personnes auront souvent tendance à interpréter de manière catastrophique les évocations internes (ex. un symptôme physique, une pensée) et externes (ex. un rendez-vous médical, un reportage sur le cancer) du cancer et à adopter des stratégies d’adaptation inefficaces (ex. l’évitement, la recherche de réconfort). L’objectif de ces stratégies est en général de réduire au minimum le niveau d’incertitude en tentant de vous convaincre que tout ira bien ou de vous y faire penser le moins possible. Comme il est impossible d’être certain que la maladie ne progressera pas, nous vous suggérons plutôt de tenter d’augmenter votre tolérance à cette incertitude afin de mieux vous adapter à cette réalité.
La stratégie de l’évitement : plus nuisible qu’utile !
Si vous vous sentez anxieuse lorsque vous pensez à la progression du cancer, vous avez peut-être tendance à éviter le plus possible les situations qui provoquent ces pensées (ex. changer de poste si vous regardez une émission de télévision sur le cancer, éviter de lire la rubrique nécrologique dans le journal) ou de chasser carrément ces pensées. Cette stratégie peut paraître logique : « Cette pensée me rend anxieuse, donc il faut que je l’évite. » Cependant, il est très difficile d’éviter toute pensée au sujet du cancer. Vous risquez d’être constamment confrontée à des situations qui vous y font penser, que ce soit en vous rendant à l’hôpital pour vos rendez-vous médicaux ou en discutant avec vos proches de la maladie. Sachez cependant que l’évitement crée le plus souvent un cercle vicieux : plus vous tentez d’éviter les situations anxiogènes, plus vous aurez de la difficulté à vous adapter à la maladie et plus vous vous sentirez anxieuse. Plusieurs personnes sont tentées de s’isoler, de refuser des activités sociales pour ne pas parler de la maladie ou même d’éviter d’aller à l’épicerie de peur de croiser une voisine qui leur demandera « Comment ça va ? » Dans de rares cas, la personne pourra même adopter des comportements d’évitement néfastes pour sa santé, comme repousser certains examens médicaux. Lorsque l’évitement vous empêche de faire des choses importantes pour vous, il devient plus nuisible qu’utile !
Peut-être mettez-vous aussi beaucoup de temps et d’effort à tenter de chasser vos pensées au sujet du cancer. Si c’est le cas, vous aurez sans doute déjà remarqué à quel point il est difficile d’éviter de penser à quelque chose. Il suffit d’essayer de ne pas penser à un chameau pour que l’image vous apparaisse immédiatement à l’esprit ! Vous arriverez peut être à vous distraire temporairement, mais pendant combien de temps, et à quel prix? Comme la pensée chassée revient inévitablement, l’évitement des pensées, qu’on appelle aussi l’évitement cognitif, est non seulement inefficace à long terme, mais aussi épuisant.
Nous vous proposons plutôt de vous exposer graduellement aux situations que vous avez tendance à éviter afin de vous y « habituer » et de vous sentir de moins en moins anxieuse. Vous aurez aussi avantage à apprendre tranquillement à tolérer la présence de ces pensées désagréables en en relativisant l’importance (après tout, ce n’est qu’une pensée parmi d’autres) et en adoptant notamment l’optimisme réaliste. Vous serez ainsi moins limitée dans vos actions. Vous aurez davantage d’énergie pour vous concentrer sur les activités qui vous procurent du plaisir et pour continuer à profiter d’une vie épanouie.
La recherche de réconfort : un apaisement temporaire
Une autre stratégie très souvent utilisée par les patientes pour tenter de diminuer leur anxiété est de chercher à être rassurée afin d’éliminer tout doute possible quant au risque de progression. Vous avez peut-être tendance à vouloir être rassurée par votre équipe soignante. Bien sûr, porter attention aux signes d’évolution et consulter en cas de symptôme sérieux est une bonne pratique. Cependant, les comportements excessifs, comme s’auto-examiner fréquemment, questionner à répétition le personnel médical au sujet d’un même symptôme ou insister pour passer des examens supplémentaires constituent une autre forme d’évitement qui maintient l’anxiété à long terme. Tout comme l’évitement, chercher à être rassurée amène un bien-être immédiat, mais dès que le doute revient, l’anxiété augmente à nouveau. C’est toujours à recommencer et ce n’est généralement pas très efficace! Il restera toujours un doute, une crainte que la maladie évolue, et vous aurez avantage à tolérer ce doute plutôt que de chercher à le faire disparaître, une mission quasi impossible.
D’autres changements de comportement peuvent aussi avoir cette fonction, comme suivre une diète très stricte ou faire de l’exercice ou des techniques de visualisation selon un horaire fixe. Bien qu’il s’agisse généralement de saines habitudes de vie, ces comportements peuvent devenir excessifs (ex. ne jamais manger de malbouffe, s’astreindre à un horaire rigide d’exercice) et être associés à beaucoup d’anxiété et de culpabilité dès que l’objectif, souvent irréaliste, n’est pas atteint (« Je ne mange pas assez bien, mon cancer va revenir »). Comme le cancer est multifactoriel, même une personne ayant des habitudes de santé « parfaites » n’a aucune garantie que son cancer n’évoluera jamais. Mieux vaut faire ces changements d’habitudes de vie d’abord et avant tout pour augmenter son bien-être personnel que dans le but d’éliminer tout risque de progression* 41, un objectif inatteignable.
Viser l’acceptation plutôt que la lutte
Accepter le diagnostic et s’adapter à sa vie avec un cancer métastatique (stade 4) peut être long et ardu. Des émotions comme la colère, la révolte, la frustration ou le sentiment d’injustice sont très fréquemment ressenties par les personnes atteintes de cette maladie, et c’est bien normal. Cependant, la rumination (ressasser constamment l’histoire dans sa tête) et la lutte contre une situation qu’on ne peut changer sont douloureuses, épuisantes et inutiles. C’est un peu comme se débattre dans des sables mouvants : plus on tente de s’en sortir, plus on s’enfonce. Pour plusieurs personnes, le terme même d’« acceptation » est difficile à envisager. Accepter ne veut pas dire abandonner, laisser tomber ou être en accord avec ce qui arrive : c’est plutôt de reconnaître que certaines épreuves ne peuvent être changées, et que la seule chose sur laquelle vous ailliez du contrôle face à certains coups durs est l’attitude à adopter afin de vous y adapter le mieux possible. Il s’agit de reprendre le contrôle de sa vie malgré l’adversité et de se concentrer sur ce qui est le plus important pour vous, de continuer à aller de l’avant même si le chemin à emprunter n’est pas celui que vous aviez espéré. De nombreuses personnes constatent qu’au fur et à mesure qu’elles acceptent la situation, certaines émotions positives permettent de créer un équilibre avec les négatives.
Redéfinir ses objectifs de vie : une façon de retrouver un sens
Malheureusement, il n’est pas rare de voir des personnes atteintes d’un cancer métastatique (stade 4) cesser d’avoir des objectifs de vie, de peur qu’elles ne puissent les réaliser en raison de la maladie. Malheureusement, cette attitude est souvent associée à une humeur dépressive. Quoi de plus déprimant que de vivre sans but? Même une personne en parfaite santé n’a pas la certitude qu’elle atteindra ses buts. Les objectifs de vie donnent une raison de vivre au quotidien. Il n’est pas essentiel d’être certain de les réaliser pour bénéficier de leur effet positif. Il est possible toutefois que les objectifs, buts ou rêves que vous aviez autrefois ne soient plus tout à fait réalistes dans votre état de santé actuel. Nous vous encourageons donc à redéfinir vos objectifs de vie à court, moyen et long terme, en les adaptant à la vie avec la maladie. Pour ce faire, vous pouvez vous poser quelques-unes de ces grandes questions : qu’est-ce qui est vraiment important pour moi et qui me tient à cœur? De quoi j’aimerais être fière lorsque j’arriverai vers la fin de ma vie? Qu’est-ce qui me procure du plaisir, du bien-être, de la valorisation, du réconfort? Qu’est-ce qui contribue le plus à mon bien-être? Quelles sont mes valeurs fondamentales? Bien que cela puisse représenter un grand défi, il est reconnu que les personnes qui agissent en cohérence avec leurs objectifs et leurs valeurs présentent moins de détresse psychologique que les autres. Vous pourriez par exemple en profiter pour établir des liens plus profonds avec les personnes qui vous entourent ou reprendre contact avec des êtres chers de qui vous vous êtes distanciée avec le temps. Vous aurez peut-être envie de tenter de résoudre des conflits ou des malentendus passés qui vous tourmentent toujours, de retourner visiter des lieux ayant eu une signification particulière dans votre vie ou de faire un voyage dont vous rêvez depuis longtemps. Vous pourriez aussi simplement vous centrer sur le moment présent en faisant des activités qui vous procurent du plaisir ou du bien-être, comme jardiner, cuisiner, lire, écouter de la musique, méditer ou contempler la nature.